Quand il n’y a rien plus à manger à la maison / De Y. Barzel

C’est un fait. Nous pensons tous aujourd’hui que personne aujourd’hui ne souffre réellement de la faim en Israël. En effet, il y a des communautés qui soutiennent, il y a des voisins, des organismes de charité. D’accord, il n’est pas facile pour certains d’assurer le flux de leur trésorerie. Parmi eux, il y en a qui peuvent avoir des dettes. Mais pour la nourriture ? Pour les produits de base, tout le monde en a. Ça, nous en sommes persuadés, à moins que nous n’essayions de nous rassurer.

Le problème, c’est que cette idée est très éloignée de la réalité. Voici par exemple une histoire troublante, qui vient tout juste d’être révélée ce mois-ci dans un relai de Hasdei Naomi du centre du pays.
Madame B. est régulièrement soutenue par Hasdei Naomi et fait personnellement du bénévolat dans un centre local. Elle a supplié que l’on élargisse le panier de nourriture attribué à sa famille après une baisse de leurs gains. Les délégués de l’organisation ont effectué une visite à domicile et ont été frappés par ce qu’ils ont découvert.
Dans cette maison vit un couple avec ses deux enfants, âgés respectivement de trois et sept ans. Le père de famille souffre d’un diabète aggravé, d’une maladie des reins et d’une série de problèmes de santé. La mère, épileptique, ne travaille pas.
Au cours des années, la famille a subsisté très péniblement de la vente de métaux et de brocante que le père se procurait dans les poubelles, et c’est aussi avec la pension d’invalidité et des envois de nourriture de Hasdei Naomi qu’elle a réussi à survivre, mais en se contentant des produits de base et en renonçant aux médicaments, pour des considérations économiques.

En conséquence, le père a subi une aggravation de son état de santé, et le diabète a affecté son état, ce qui l’a conduit à ne presque plus sortir de chez lui, de sorte que le faible pécule gagné par la vente d’épaves et qui faisait vivre la maison a disparu. La famille a tenté de réduire davantage ses dépenses, mais, en dernier recours, elle s’est adressée à Hasdei Naomi en demandant d’augmenter l’aide des produits alimentaires envoyés par l’association.
Face à cette terrible découverte, des colis d’assistance ont été immédiatement envoyés sur les lieux, à partir du centre logistique de Hasdei Naomi. En outre, les membres actifs de Lev Naomi se sont lancés dans une aide financière pour le payement des médicaments et de l’équipement médical.
En cette période qui précède Rosh Hashana, alors que tout le monde est occupé, l’un par les achats pour la fête, l’autre par son examen de conscience, nous avons marqué une pause brève mais chargée de contenu et d’action avec ces gens de charité, les anges de Hasdei Naomi.
L’organisme Hasdei Naomi, qui œuvre déjà depuis trente-et-un ans, a été fondé par un seul homme, le Rav Yossef Cohen. Tout a commencé quand il accompagna ses enfants à l’école, et qu’il constata que d’autres, qui étudiaient dans la même classe, avaient des cartables déchirés et des haillons. «Il a été pris de pitié pour les malheureuses familles», se souvient-on aujourd’hui chez Hasdei Naomi en évoquant ces premiers jours. Puis, de ses propres mains, allant de maison en maison, il a ramassé des produits alimentaires et les a distribués à des pauvres. Ce fut le début. Mais, avec le temps, un système entier de bénévolat est venu s’ajouter, des points de stockage ont été créés, des camionnettes de ramassages de produits ont été réparties…
Quand on regarde en arrière, on a du mal à reconnaître ce modeste début. Aujourd’hui, alors que l’organisation soutient en permanence plus de dix mille familles, et ce en dehors de milliers de familles qui sont aidées occasionnellement, et alors que dans les rangs de l’organisation œuvrent plus de vingt mille bénévoles, hommes et femmes, dans 42 stations sur l’ensemble du territoire, ce début paraît bien irréel. Mais c’est ce qui s’est produit, et c’est ce qui se produit continuellement et partout.
Aux bénévoles viennent se joindre des délégués d’immeubles chargés de récolter des produits alimentaires auprès des voisins et de les faire passer, à l’aide des conducteurs de l’association, dans les centres de tri, d’où ils sont distribués chez les familles.
La méthode de distribution, elle aussi, est unique en son genre. Le principe consiste à respecter la dignité des destinataires. Les caisses distribuées aux familles et aux veuves dans le besoin, leur sont expédiées par un commis d’une société de courtage, afin de camoufler l’objectif de l’envoi et d’éviter une gêne de la femme et des enfants.
Nous nous sommes entretenus avec le directeur d’un centre de distribution de la ville de Bat-Yam, qui par la force des choses apporte une réponse non seulement dans cette ville mais dans d’autres villes des environs.
«Toute l’année, c’est un véritable tremblement de terre, ce qui se passe chez nous. Nous sommes une association qui a toujours des demandes», nous explique-t-on à la station. «Au passage, les demandes ne proviennent pas seulement des familles. Le ministère des Affaires sociales nous appelle à tout moment pour des envois de colis partout en Israël. Des gens vont les voir, au ministère des Affaires sociales, qui n’a pas la possibilité de répondre à tout le monde. Tous ceux qui en reviennent ont avec eux un dossier impressionnant de problèmes. Ils vérifient puis ils nous appellent, nous transmettent un rapport détaillé sur la situation de chaque famille, et nous savons, malheureusement, que chaque famille envoyée par le ministère des Affaires sociales, est une famille dans le malheur qui a besoin d’une aide d’urgence.»
Dans un premier temps, c’est ce qu’ils nous ont expliqué, il y a des «premiers soins». «Tout de suite, sur place, on leur accorde une caisse de produits. Toutes proviennent du cœur de l’organisation, à Bené-Berak. On leur remet des fruits, des légumes, du lait en poudre et des produits de base. L’étape suivante consiste dans leur enregistrement dans les cercles de distribution réguliers. Nous remplissons des papiers, on reçoit un rapport de l’assistant social et de la banque, et alors, suivant la commission de contrôle, on continue avec le soutien régulier.»
Tous les produits proviennent du cœur de l’organisme, du centre de Bené-Berak. «Nous obtenons tout d’eux», nous dit-on à la station de Bat-Yam. «Les camions immenses circulent tous les jours de la Arava au Golan. Ils ramassent les produits auprès des fournisseurs, avant de rentrer la nuit à Bené-Berak. Là est déchargée la grande quantité de marchandise, qui est simultanément rangée dan les caisses destinées aux différentes stations.»
«Nous recevons des produits bien ordonnés, et alors, à une date prévue à l’avance, les familles viennent nous voir. Selon la commande et avec une liste, elles sont servies. Elles n’ont qu’à venir, se servir, et repartir. »
Donc, si toute l’année, c’est un «tremblement de terre», comme ils l’ont défini, alors les veilles de fêtes, ça devient un véritable raz-de-marée, et ce en dehors du fait que les paquets sont plus gros que d’habitude par la force des choses, afin de subvenir à tous les besoins de la fête, et de longues semaines avant la fête, les coups de téléphone commencent.
«Tout le monde se rappelle avant les fêtes qu’il n’y a rien à manger», dit-on chez Hasdei Naomi avec une douleur chargée par un apprentissage long de plusieurs années de la précarité de son prochain, «et c’est sans compter les milliers qui reçoivent toute l’année. Dans ces périodes, le nombre de nouvelles familles qui viennent s’ajouter n’est pas négligeable. » Alors que nous sommes en pleine discussion, celle-ci est interrompue pour plusieurs minutes. «A l’instant, une femme de Natanya est venue nous voir, elle est âgée et pleure de ne pas avoir à manger pour la fête. Elle tient tellement à honorer la fête, qu’elle demande une bouteille de vin pour le Kiddoush et quelques aliments de plus pour le repas de fête, ça brise le cœur.»
«La différence entre cette année et les nombreuses autres années pendant lesquelles nous avons œuvré pour la charité», nous dit-on chez Hasdei Naomi, «c’est qu’auparavant, il s’agissait de familles nombreuses qui venaient demander de l’aide, parce que ce n’était pas facile pour eux avec huit à dix enfants. Mais aujourd’hui nous recevons des appels de jeunes familles avec trois ou quatre enfants, qui viennent demander de l’aide. Les frais sont aujourd’hui tellement élevés qu’il ne leur reste plus rien. Tout l’argent part pour le loyer, les habits, les institutions éducatives, et les jeunes familles se retrouvent affamées. C’est une situation tout à fait nouvelle, à notre grand regret.»
Et les familles obtiennent des réponses. Et elles sont honorées. Hasdei Naomi les recontactera après un bref délai, et on se mettra d’accord sur l’heure et le lieu qui leur convient le mieux, sans qu’elles n’aient honte, sans que l’on ne les soupçonne de vivre de la charité.
Et si, toute l’année durant, de nombreuses familles obtiennent de l’aide, alors les veilles de fêtes, le nombre est multiplié par deux, voire plus. Et pour pouvoir résister au poids, les bénévoles travaillent toute la journée, toute la nuit, et vraiment jusqu’à l’entrée de la fête. «C’est une habitude chez nous», racontent-ils. «Nous nous trouvons presqu’à l’heure d’allumer les bougies, et on reçoit un coup de téléphone à propos d’une famille qui n’a pas de quoi manger pour la fête. Et même avec ça, nous y arrivons. Nous avons appris à appréhender la détresse d’une famille qui n’a plus rien, et nous réussissons malgré tout à recevoir les forces nécessaires pour parvenir à aider tout le monde.»

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